Ne laissez pas docile en cette bonne nuit…» est un verset de Dylan Thomas du printemps 1951. Soixante-dix ans se sont écoulés. Jamais plus qu’auparavant ces mots grondent comme un sombre requiem pour le nouveau millénaire qui a déçu les attentes les plus futuristes et hollywoodiennes du siècle dernier,et qui promettent d’être l’union macabre entre la dystopie orwellienne et panoptique avec la démocratie libérale et progressiste. C’est ainsi qu’est née “distuffering”: la forme de gouvernement démocratique qui, par sa nature même, admet et justifie l’utilisation du contrôle et de la surveillance pour se protéger et protéger le statu quo contre les menaces internes et externes (ou perçues comme telles grâce à la presse et aux médias numériques). Dans la dystocratie occidentale, les formes dystopiques de l’État policier deviennent un placebo pour la société consumériste qui survit à ses libertés fondamentales au nom de la sécurité. Ce n’est pas un régime dictatorial ni même totalitaire, car il ne s’unit pas et ne se mobilise pas, mais divise et commande. C’est un système qui se nourrit d’élections et exploite la crise du parlementarisme pour installer “légalement” des gouvernements techniques et de large intention. Le capitalisme va bien, il n’a jamais été meilleur et souhaite à tous une bonne (et très longue) nuit.

Il y a cinquante ans, nous pensions que l’avenir nous donnerait des rêves héroïques de conquérir l’espace, mais nous n’avons jamais été aussi loin des étoiles: maintenant, c’est aussi devenu le jouet touristique des multinationales Musk et Bezos. Blade Runner s’est avéré être une prédiction optimiste pour le moment 2019, qui imaginait un avenir où, bien que mort, l’espoir d’une vie héroïque et épique renaît grâce au réplicable Roy Batty. Rien de tout cela ne s’est produit, au contraire, nous n’avons trouvé qu’une fin docile pour chaque désir de liberté. «Belle expérience de vivre dans la terreur, n’est-ce pas? Cela consiste à être un esclave. » Aujourd’hui, l’avenir est là et on l’appelle une pandémie permanente: un régime de terreur constante qui a généré des esclaves de sa propre existence qui ont assumé la santé et le bien-être à leur propre mesure de non-vie. Que se passera-t-il ensuite ? Lorsque l’anesthésie de masse aura fait du monde entier une pièce aseptique et sèche, sans bord ni comparaison, qui aura le pouvoir? Serons-nous toujours en mesure de nous dire humains lorsque la prudence aura atrophié nos jambes? Quel avenir pour les nations face aux agendas mondialistes de domination absolue du capital? Quel avenir pour les écosystèmes de la Terre face à la production intensive et à la consommation extensive de ressources ? Le col vert n’est que le porte-drapeau d’un nouvel ordre mondial en cours de construction ces dernières années et à partir duquel il sera difficile de revenir en arrière. Le vaccin n’est qu’un garde oculaire et c’est un choix fictif qui découle de la même peur : celle de la mort.

Nous ne devons pas manquer l’ennemi. L’Europe n’est pas menacée par un virus chinois ni même par l’absence de vax ou de col vert, mais par un Occident de plus en plus asservi à la logique des marchandises et à l’appauvrissement des relations sociales, par la forme capitale ou par la désintégration de l’imagination symbolique qui conduit à l’annulation de l’humain lui-même.

Cette tendance conduira à la castration de toute pensée et de toute action non égale au comportement dicté par la société de consommation. En jeu, il n’y a pas seulement une idée politique, mais notre être dans le monde, nos propres actions et émotions. La prostitution des mots n’est pas seulement un jeu médiatique, mais l’arme avec laquelle nos vies sont vidées.

C’est pourquoi la colère ne suffit plus. L’indignation et le reflux numérique convainquent tout le monde que la colère, la haine, la violence ne sont que des opinions. Un clic et une colère se sont évacués, un commentaire sous un message et la haine est réduite à la matière pour une loi sur les discours de haine. Notre colère ne doit pas seulement être dite, car une opinion ne génère pas d’histoire, ne génère pas d’avenir, ne produit rien de valable. L’indignation numérique n’est pas chantable : elle n’est pas capable d’action ni même de narration, c’est plutôt un état affectif (ou gastrique) qui ne déploie aucune force capable de produire des actions. Le monde numérique apporte le monde dans votre maison, vous êtes convaincu que vous bougez, mais en réalité, vous êtes aussi ferme qu’un poids mort.

 Il faut aller plus loin, vous devez alors vous mettre en colère. La fureur est plus qu’un état affectif : c’est la capacité d’interrompre un état existant et d’en commencer un nouveau. C’est pourquoi c’est le sentiment ennemi de ce qui ne change pas, de ce qui se perpétue égal à lui-même, du statu quo. Qu’est-ce que nous sommes aujourd’hui, sinon les bêtes d’engraissement, sous sédatif et gardés dans une élevage intensif comme les champs cultivés Matrix ? Nous servons dociles et doux, incapables de nous exaspérer.

Aujourd’hui, nous sommes le taureau qui se démarque dans le manifeste. Le taureau qui n’a pas la possibilité de concourir dans l’arène taurine : attaché, altéré, dévirilisé par une toile de cordes. C’est notre Italie, notre Europe dont le taureau est un symbole totémique par excellence et tradition. C’est nous. Une corde sur sa bouche et une poignée serrée de la jambe l’empêchent de respirer et de bouger. Mais il y a une force indomptable qui fait partie de notre esprit et nous y faisons appel maintenant que nous sommes de retour au mur, menacés dans la chair et l’âme par le pire esclavage : celui des doux, des prudents, des modérés, ceux qui n’espèrent même pas que quelqu’un viendra les libérer. Nous devons le faire nous-mêmes, faire appel aux forces bestiales de l’animal que nous possédons à l’intérieur de nous-même, nous enrager comme le taureau qui, se sentant serré par les cordes, étire ses muscles au spasme pour tenter de déchirer les liens qui le lient. C’est ainsi que nous imaginons la rage contre la mort de la lumière : un acte pur, instinctif, cristallin, sans fioritures, celui d’une bête qui n’accepte pas la cage. La réponse archaïque à une attaque totale,

«L’ancien désir» et «la main nouvelle». La réponse que les réplicants comme nous trouveront dans leurs profondeurs lorsqu’ils se souviendront enfin que la vie passe à la vitesse d’un éclair, la réponse que Fremen comme nous trouvera dans le désert qui les entoure avant de le transformer en jardin. Nous vivons dans une cave, mais nous rêvons et voulons l’espace d’un Empire.

« Les règles construisent des fortifications derrière lesquelles les petits esprits s’élèvent au niveau des satrapes » : nous ne les respecterons pas ! C’est ainsi que nous voulons nous opposer aux gouvernements techniques qui existent et continueront de se suivre, avec l’énergie épique et même un peu scientifique de nos gènes. Parce que lorsque le pouvoir est entre les mains de bureaucrates gris et d’employés médiocres, il faut un effort de créativité : celui d’imaginer l’absurde et l’impossible de le rendre possible. L’effort pour chercher ce qui n’est pas encore là : l’acte de foi d’un jeune cœur. C’est ainsi que nous nous opposerons à la belle illusion de la pensée unique, aux agendas progressistes de couleur arc-en-ciel, à la mort de l’école et du travail, à l’appauvrissement de la socialité et à la numérisation de la vie. Mobilisons en nous et à travers nous cette colère terrible qui nous chante Homère, c’est le principe de notre civilisation.